Boxe: la compil Ali
VLADIMIR DE GMELINE - MARIANNE
Boxe: la compil Ali
VLADIMIR DE GMELINE - MARIANNE
Six cent vingt pages bien tassées pour raconter le destin du plus grand boxeur de tous les temps. En multipliant les points de vue, l'écrivain Frédéric Roux réussit un tour de force époustouflant.
Mais oui, bien sûr, on connaît tout ça. Les films, on les a tous vus. Tous les combats, toutes les interviews. Les vidéos, en boucle sur YouTube. Lu tous les livres. Ses phrases et ses poèmes, par cœur : «I/Am/the greatest !», avant de stopper net le 36 t Sonny Liston, le 25 février 1964. «Float like a butterfly, sting like a bee» («Vole comme un papillon, pique comme une abeille»), les mâchoires grandes ouvertes, les yeux fous. Le cri de la foule dans la nuit de Kinshasa, au Zaïre, «Ali boumaye» («Ali, tue-le !»), le 30 octobre 1974. Une heure avant que George Foreman, qui frappait pourtant comme une mule et savait bouger, ne tourne sur lui-même, le regard vide, désorienté, avant de s'écraser au sol, les bras en croix. Il a bien tenté de se relever. Pas la peine. On aimerait savoir ce qu'il a pensé de ça, ensuite, Foreman.
Voilà ce qu'il en a pensé : «A l'époque, il était trop intelligent pour moi. Après le combat, j'ai trouvé tout un tas d'excuses : les cordes étaient détendues, l'arbitre a compté trop vite, ma blessure a perturbé mon entraînement, j'ai été drogué... J'avais jamais perdu de ma vie, je savais pas ce que c'était, alors je savais pas quoi faire avec ça. Dans ma tête, j'ai refait le combat cent mille fois et puis j'ai réalisé que j'avais perdu contre un grand champion. Aujourd'hui, je suis juste fier de faire un tout petit peu partie de sa légende. Je l'aime beaucoup pour ça. Vraiment.»
Oui, comment faire après Norman Mailer, Joyce Carole Oates ou Nick Tosches, après When We Were Kings ? Tout a été dit, écrit, montré, disséqué. De la grâce du jeune Cassius Clay, de son insolence et de son génie, à l'assurance du rebelle Mohamed Ali, refusant de partir au Vietnam, bête noire de Nixon et de l'Amérique blanche, avant qu'elle n'en fasse un de ses héros, en passant par la maladie qui l'a diminué sans rien lui enlever de son humour et de son intelligence. Trop de coups. Comment ne pas répéter ce qui l'a déjà été mille fois ?
Des centaines de témoignages
Frédéric Roux, avec son nez cassé et son air pas commode, a trouvé la solution. La boxe, il connaît plutôt bien. Son premier roman s'appelait Lève ton gauche ! Ce que ne faisait pas Ali, soit dit en passant. Il a écrit une biographie de Mike Tyson, des romans noirs et des romans tout court. L'Hiver indien racontait l'histoire d'un groupe de natives Americans en guerre contre ceux qui les avaient enfermés dans des réserves. Ils réapprenaient à chasser la baleine. Retrouver l'esprit originel, c'est justement ce qu'a fait Frédéric Roux dans ce livre. Comment ? En boxant comme Ali. En bougeant dans tous les sens, en esquivant et en pivotant, vite, très vite, en asphyxiant le lecteur. En trouvant, comme Ali, une manière inédite, un style inattendu, un truc aussi élégant que redoutablement efficace. Des centaines de témoignages, compilés, des bouts de phrases, des paragraphes entiers, de proches, d'entraîneurs, d'adversaires, de biographes et de journalistes, et c'est l'histoire d'une vie, d'un champion, et de l'Amérique des années 60, 70 et 80 qui se révèle au fur et à mesure d'une lecture impossible à lâcher. Un tour de force absolu. Tout d'abord par le travail de documentation titanesque qu'il représente. Ensuite par l'intelligence de la construction, l'enchaînement des points de vue, différents ou convergents, qui permet de saisir le personnage dans toute sa complexité, sans le comprendre vraiment pour autant.
Frédéric Roux s'est tout de même gardé quelques monologues. Superbes. Sonjie et Leonnie, sa première et sa quatrième épouse. Bundini, son homme de coin. Et Sonny Liston, évoquant sa propre vie depuis sa tombe, au Paradise Memorial Gardens de Las Vegas. Du Faulkner, brut, tragique, le drame transcendé par la littérature.
Alias Ali, de Frédéric Roux, Fayard, 620 p., 22 €.
Voilà ce qu'il en a pensé : «A l'époque, il était trop intelligent pour moi. Après le combat, j'ai trouvé tout un tas d'excuses : les cordes étaient détendues, l'arbitre a compté trop vite, ma blessure a perturbé mon entraînement, j'ai été drogué... J'avais jamais perdu de ma vie, je savais pas ce que c'était, alors je savais pas quoi faire avec ça. Dans ma tête, j'ai refait le combat cent mille fois et puis j'ai réalisé que j'avais perdu contre un grand champion. Aujourd'hui, je suis juste fier de faire un tout petit peu partie de sa légende. Je l'aime beaucoup pour ça. Vraiment.»
Oui, comment faire après Norman Mailer, Joyce Carole Oates ou Nick Tosches, après When We Were Kings ? Tout a été dit, écrit, montré, disséqué. De la grâce du jeune Cassius Clay, de son insolence et de son génie, à l'assurance du rebelle Mohamed Ali, refusant de partir au Vietnam, bête noire de Nixon et de l'Amérique blanche, avant qu'elle n'en fasse un de ses héros, en passant par la maladie qui l'a diminué sans rien lui enlever de son humour et de son intelligence. Trop de coups. Comment ne pas répéter ce qui l'a déjà été mille fois ?
Des centaines de témoignages
Frédéric Roux, avec son nez cassé et son air pas commode, a trouvé la solution. La boxe, il connaît plutôt bien. Son premier roman s'appelait Lève ton gauche ! Ce que ne faisait pas Ali, soit dit en passant. Il a écrit une biographie de Mike Tyson, des romans noirs et des romans tout court. L'Hiver indien racontait l'histoire d'un groupe de natives Americans en guerre contre ceux qui les avaient enfermés dans des réserves. Ils réapprenaient à chasser la baleine. Retrouver l'esprit originel, c'est justement ce qu'a fait Frédéric Roux dans ce livre. Comment ? En boxant comme Ali. En bougeant dans tous les sens, en esquivant et en pivotant, vite, très vite, en asphyxiant le lecteur. En trouvant, comme Ali, une manière inédite, un style inattendu, un truc aussi élégant que redoutablement efficace. Des centaines de témoignages, compilés, des bouts de phrases, des paragraphes entiers, de proches, d'entraîneurs, d'adversaires, de biographes et de journalistes, et c'est l'histoire d'une vie, d'un champion, et de l'Amérique des années 60, 70 et 80 qui se révèle au fur et à mesure d'une lecture impossible à lâcher. Un tour de force absolu. Tout d'abord par le travail de documentation titanesque qu'il représente. Ensuite par l'intelligence de la construction, l'enchaînement des points de vue, différents ou convergents, qui permet de saisir le personnage dans toute sa complexité, sans le comprendre vraiment pour autant.
Frédéric Roux s'est tout de même gardé quelques monologues. Superbes. Sonjie et Leonnie, sa première et sa quatrième épouse. Bundini, son homme de coin. Et Sonny Liston, évoquant sa propre vie depuis sa tombe, au Paradise Memorial Gardens de Las Vegas. Du Faulkner, brut, tragique, le drame transcendé par la littérature.
Alias Ali, de Frédéric Roux, Fayard, 620 p., 22 €.
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