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jeudi 21 mars 2013

Fabrice Allouche, ex-champion de boxe thaï : « Un scanner après les combats difficiles »


Accro à l’adrénaline, il a passé sa carrière à encaisser les coups et endurcir son corps. Qu’il s’est forcé à transformer pour arrêter la compétition.



Fabrice Allouche (DR)
Fabrice Allouche raconte son dernier combat sans trop insister sur les détails. Une ceinture de champion du monde de boxe thaï en jeu, un adversaire coriace mais pas plus fort que lui. Il perd d’un point. C’était au Japon, en 1998. La fin de sa carrière, à 31 ans.
« Ce soir-là, j’ai pris un KO mental. »
Un truc dont il ne se relèvera pas. Pourtant, cette défaite ne changeait pas grand-chose. A l’époque, il est l’un des meilleurs combattants de sa génération, quasiment au sommet de sa carrière – vice-champion du monde et triple champion d’Europe de boxe-thaï, quadruple champion du monde de kick-boxing.
Mais il a tout lâché, pas certain d’avoir encore les ressources mentales pour continuer à tirer sur son corps. La peur du combat de trop aussi.
Pour être sûr de ne pas reprendre la compétition – il avait déjà fait un break d’un an en 1994 – il s’est détruit. Il arrête complètement le sport, pendant plusieurs mois. Plus d’entraînement, plus de rigueur. Il change d’apparence. Prend beaucoup poids, se rase la tête :
« Mes cheveux représentaient ma carrière sur le ring. Inconsciemment, je pense qu’il fallait que je passe à autre chose, qu’il y ait une rupture forte. »

« Je prenais tous les risques »

Fabrice Allouche, 45 ans est le fils de Daniel Allouche, speaker des grandes soirées boxe sur Canal + durant près de vingt-cinq ans :
« J’étais attendu au tournant. Avec le recul, il était préférable pour moi de combattre à l’étranger. Peut-être que j’ai fait tout ça pour lui prouver que je pouvais réussir là-dedans. »
Une enfance à Porte de Saint-Ouen, un penchant pour le foot et des débuts en boxe-thaï à 15 ans. Très vite, il est surnommé « le guerrier ». Un petit gabarit (1,68 m), qui oscille entre poids mouche et super-plumes et qui est l’un des premiers Français à aller défier les Thaïlandais chez eux.
« Un être humain n’est pas fait pour prendre des coups »
Quand il raconte la boxe thaï – dont il a largement contribué à la notoriété en France dans les années 90 – il élude souvent sa dimension physique, préférant s’épancher sur les qualités mentales qu’elle requiert :

Fabrice Allouche (DR)
« Un être humain n’est pas fait pour prendre des coups. On vit avec la douleur quand on fait un sport dur et c’est le mental qui permet de la supporter. »
Celles qui s’acquièrent au fil des entraînements et des combats, comme l’ego, « qui permet de travailler très dur pour refuser la défaite ». Il avoue avoir toujours aimé « se mettre dans le rouge ». Voir jusqu’où il peut aller, juste pour l’adrénaline.
Sa carrière terminée, il contribue au succès de la marque de vêtements Com8, avec des amis, dont Joey Starr, collabore à la création d’un magazine consacré aux cultures urbaines – 5 Styles –, puis décide de devenir préparateur physique et coach mental, après, entre autres, des formations en sophrologie ou en hypnose.
Des anonymes, des stars de cinéma, du foot ou encore de la boxe font régulièrement appel à lui. En 2011, il a été élu entraîneur de l’année au Sénégal par les médias locaux, pour les victoires des combattants qu’il a entraînés en lutte sénégalaise et sur lesquels personne n’avait misé. « Pas même les marabouts. »

Fabrice Allouche au Sénégal, avec un lutteur (DR)
Quel était votre contrat ?
Au début de ma carrière, j’avais une licence en club. Je devais lui reverser 10% de mes primes à chaque combat. A la fin, j’étais « indépendant ». Je m’entraînais dans plusieurs salles, en France ou à l’étranger et j’avais recours à un sparring-partner pour me préparer. Pour le coup, pas de sous. C’est souvent de l’entraide entre deux boxeurs.
Quel était votre salaire ?
250 francs [environ 40 euros, ndlr] pour mes premiers combats, de quoi acheter quelques pommades pour se soigner. Et puis ta valeur marchande augmente. Tu es convoité, ta ceinture aussi. Comme tu prends un risque en la remettant en jeu, tu fais grimper les enchères avec les promoteurs. Cela montait parfois jusqu’à 75 000 francs [environ 11 500 euros, ndlr] pour un match de niveau mondial.
Néanmoins, quand tu boxais au haut niveau, tu ne faisais que trois ou quatre combats dans l’année et les gains étaient très aléatoires. Je ne vivais donc pas de mon sport, mais cela ne m’a jamais dérangé. J’ai toujours voulu garder un pied dans la réalité, être dans le dur car tu peux très vite te faire happer par tout ce qui brille.
J’ai continué mes études – un BTS diététique– et pris des jobs à temps partiel – serveurs, agent de sécurité, vendeur –- qui pouvaient s’adapter à mes entraînements et mes combats.
Quels étaient vos horaires ?
Je m’entraînais tous les soirs. Cinq semaines avant un combat, je m’entraînais deux fois par jour (en moyenne de 8h à 10h puis de 17h30 à 20h) et ce du lundi au vendredi. Le week-end, j’avais une journée et demie pour récupérer – généralement le samedi après-midi et le dimanche.
A quel moment vous débarrassiez-vous de votre tenue de travail ?
Avant et après un entraînement ou un combat. Dans un match de boxe, les tenues font partie du show. C’est un spectacle. Tu es devant un public, des téléspectateurs. A mon époque, certains boxeurs optaient déjà pour des tenues avec des couleurs tape-à-l’oeil, faisaient des petites chorégraphies. Moi, j’ai toujours été assez sobre, assez calme. Trop peut-être : si c’était à refaire, j’en aurais fait un peu plus.
Votre travail vous demandait-il un effort physique ?
La boxe est un sport extrêmement exigeant et dangereux, puisque tu joues avec ton capital santé. Le but est d’endurcir ton corps, donc chaque fois que tu veux passer un pallier, tu vas crescendo dans la préparation. Toutes les parties de ton corps travaillent. Tu ne peux en laisser aucune de côté. Les tibias, les chevilles, les pieds, les côtes, le visage morflaient.
Quelques semaines avant une rencontre, je me préparais deux fois par jour.
  • le matin était réservé au cardio. De l’endurance trois à quatre fois par semaine et le reste du temps, de la vitesse et de la musculation. Le boxeur doit être un athlète complet, agile, capable de répéter plusieurs fois des efforts intenses et de récupérer très vite ;
  • le soir était réservé à la technique, à la coordination des mouvements. Sparring-partner, shadow-boxing, sacs, cordes à sauter : l’entraîneur faisait les plannings et les adaptait en fonction de notre forme du moment, de nos lacunes et de l’adversaire que l’on va rencontrer.
  • Votre travail vous demandait-t-il un effort mental ?
    L’une des choses les plus importantes est de savoir gérer la pression. Tu peux te sentir en pleine forme toute la semaine précédant un combat et le jour-même, avoir chopé un rhume ou être affecté par un problème personnel. Finalement, un rien peut te déstabiliser, mais tu dois savoir t’adapter.
    J’avais l’avantage d’être quelqu’un de solitaire et de très casanier, ce qui me permettait de pouvoir m’isoler et de me concentrer sans trop de mal quelques jours avant une rencontre importante. De faire le vide.
    La pression, tu la ressens dans les vestiaires, dans les quelques mètres qui te séparent du ring, dans l’agitation de la foule. J’arrivais à faire abstraction de cela, même quand j’étais à l’étranger, « en terrain hostile ». J’étais serein et uniquement focalisé sur le combat.

    Fabrice Allouche (en rouge), avec Roger Paschy, son premier entraîneur (DR)
    Il y avait l’adrénaline aussi. Je la recherchais tout le temps. Je me souviens d’un combat en Thaïlande. J’avais 17 ans, j’étais seul dans un pays dont j’ignorais tout et je n’étais pas favori. Mon adversaire était plus vieux, plus costaud, plus expérimenté. J’ai gagné par KO, après avoir été malmené. Les bookmakers étaient devenus fous.
    Ils se sont jetés sur moi sur le ring, avec des billets de banque dans les mains. Il m’a fallu une dizaine de jours pour redescendre. Je n’ai pas réalisé, j’étais dans « les étoiles ». Sauf que c’est très dangereux d’y rester.
    Votre travail a-t-il laissé des traces sur votre corps ou dans votre tête ?

    Les douleurs de Fabrice
    Mon corps, ça va, car je n’ai jamais eu de grosses blessures. J’ai des douleurs au dos, les côtes qui me tirent en hiver mais je m’en tire bien. J’ai pris énormément de poids pour stopper la compétition, mais j’ai repris une activité physique quelques mois plus tard qui m’a permis d’en perdre beaucoup.
    Il y a énormément de choses que nous ignorions sur la manière de gérer notre corps, ne serait-ce qu’au niveau de la nutrition ou de la récupération. On n’en prenait pas assez soin. J’avais la chance d’avoir un mode de vie assez sain. Je ne sortais pas, ne buvais pas, ne me droguais pas.
    Après un combat assez dur, je passais systématiquement un scanner pour prévenir des lésions cérébrales. C’était une démarche personnelle. A l’époque, il n’y avait pas vraiment de suivi.
    Aussi, comme beaucoup de boxeurs, l’adrénaline me manque. J’ai eu la chance de m’investir dans des projets très prenants et de retrouver un peu de cette adrénaline dans ce que je faisais.
    Ce n’est pas toujours évident de gérer « l’après ». Plus de lumière, plus de public, plus de pression, plus d’entraînements. Beaucoup de boxeurs la recherchent alors dans la drogue ou l’alcool, une manière de décoller, « de se remettre dans le rouge ».

    Fabrice Allouche, avec le champion du monde de boxe thaï français Jérôme Le Banner et le champion olympique de judo, le japonais Satoshi Ishii (DR)
    Aviez-vous l’impression d’avoir bien fait votre travail ?
    Oui, j’ai gagné beaucoup de titres, pris du plaisir, eu de la reconnaissance. Sans la boxe et cette recherche constante de l’excellence, je ne serais pas devenu coach sportif ; tout du moins, je n’aurais pas eu un tel niveau d’exigence.
    Si vous deviez mettre une note à votre bien-être quand vous combattiez, quelle serait-elle ?
    17/20. En dépit de la dureté de mon sport, j’ai vécu des joies incroyables. Il m’a appris à avoir confiance en moi, à rester positif, à gérer mes émotions. J’ai toujours été un compétiteur, depuis tout petit et la boxe ne m’a pas déçu.

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