Réalisation, scénario et image : Zachary Heinzerling. Montage : David Teague, Akiko Iwakawa, Andy Grieve. Musique : Yasuaki Shimizu. États-Unis, 2013, 82 minutes.
Ce captivant premier documentaire du directeur photo américain Zachary Heinzerling apparaît sur la courte liste des meilleurs documentaires dans la course aux Oscar. Il aborde à la fois l’art et le couple à travers les oeuvres et la vie de bohème de deux artistes japonais à New York.
Ushio Shinohara, émule de Jackson Pollock, désormais octogénaire, a connu la gloire au cours des années 70 grâce à ses peintures faites en boxant, ses gants imbibés de peinture frappant les toiles. Norito, son épouse, de vingt ans sa cadette, a mis longtemps son art personnel en veilleuse pour épauler son grand homme, « génial » autant qu’alcoolique, qui vécut aux crochets de ses beaux-parents. Pour élever leur fils au milieu de ce barda, elle a rongé son frein créatif, mais aussi renoncé à toute forme de confort.
Habile caméra
Heinzerling, qui marie habilement la captation documentaire avec caméra à l’épaule à des images d’archives et des scènes fantômes reconstituées des premiers temps du mariage, où Ushio Shinohara est généralement ivre mort, efface derrière lui toute trace de trituration de matériel, fidèle aux techniques éclatées du documentaire contemporain. Ceux qui voulaient un portrait d’Ushio Shinohara n’y trouveront pas leur compte. Cutie and the Boxer captive par son allégorie du combat conjugal, qui culmine ici par l’affrontement réel du couple pugiliste.
Car Norito, après une vie passée de facto à assister « le véritable artiste » — venu préciser à l’écran que tel est le sort réservé aux gens ordinaires —, entreprend une série de toiles évoquant leurs quarante ans de vie conjugale. Et le couple a droit à une exposition commune, lui avec ses énergiques oeuvres boxées ou ses sculptures de motocyclettes en folie, elle avec sa série bédéiste sur les dérives de son union sacrificielle, soudain éclatant au grand jour devant les visiteurs. Femme collaboratrice comme tant d’autres, mais révoltée. Et tenant sa revanche.
On s’étonne que ce couple ait pu tenir ensemble tout ce temps, mais l’amour est au poste, ici dépeint comme un combat extrême. Cutie and the Boxer en dit long aussi sur l’amour de l’art placé au-dessus de tout, sur la condition féminine, sur l’irritation d’un artiste sur le retour, qui a du mal à vendre ses oeuvres, mais persistera jusqu’à la mort. Une représentante du Guggenheim viendra laisser planer un achat pour le musée d’une oeuvre d’Ushio Shinohara, avant de disparaître dans sa Grosse Pomme, sans donner de nouvelles. Norito l’assiste au moment des transactions. Et chacun roule sa roue dans ce saisissant dialogue de sourds en forme de mariage.
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