De la Boxe
Auteur Oates Joyce Carol
Éditeur TRISTRAM
Chronique WEB d'Agnès GAYRAUD. Lorsqu’on demande à la prolifique romancière américaine Joyce Carol Oates pourquoi elle aime la boxe, ce sport brutal, elle répond que la boxe n’est pas tout à fait brutale, puisqu'elle a des règles, et qu'elle n'est pas non plus tout à fait un sport, puisque que le sang y coule et qu’il arrive qu'un homme meure sur le ring.
De la boxe, écrit dans les années quatre-vingt, médite ainsi en quelques chapitres sur la définition de ce sport brutal qui n'en est pas un.
D’abord, dans un long article rythmé par des citations de boxeurs, puis dans une série de portraits de Mike Tyson, de Mohammed Ali, de Jack Johnson ou de Joe Louis. Oates y affronte avec rigueur sa fascination personnelle pour une activité supposée virile et ultraviolente. Envisageant tour à tour le combat de boxe comme une forme de théâtre tragique, une mise en scène masochiste du machisme, une pornographie non simulée, ou encore une espèce de religion dérisoire qui produit des Christs, des saints, des ascètes (Rocky Marciano) à la mesure de l’Amérique, l'auteur tourne autour de son sujet comme le boxeur essaie d’épuiser son adversaire. Page après page, entre le reportage, l’Histoire, la réflexion psychologique, sociologique et philosophique, J. C. Oates l'emporte haut la main.
Un certain goût de la ruse
Avant elle, Jack London, Ernest Hemingway ou Norman Mailer ont magnifié la boxe comme puissante métaphore de la vie. Mais Oates ne veut pas vraiment des métaphores, elle traite la boxe en tant que boxe : cette fureur nue que les hommes ordinaires, qui n’ont pas de raison personnelle ou sociale de ressentir de la colère, condamnent et ne veulent pas voir. Elle n'ignore pas la part de nécessité sociale décevante qui détermine le combat, sa mise en scène, les travailleurs de la boxe autant que le public: les boxeurs ne font jamais que leur travail, pour de l’argent, et toute cette mascarade se résume dans le bon mot amer de Larry Holmes : « C’est dur d’être noir. Vous avez déjà été noir ? Je l’ai été, autrefois… quand j’étais pauvre. » Mais ce qui conduit les boxeurs américains, souvent noirs et pauvres, à jouer le jeu sauvage qu’on attend d’eux, où se mêlent apparence de démence et intelligence, instinct et calcul, ce n'est pas seulement cette dimension sociologique. C'est aussi un certain goût de la ruse. « Nous, les boxeurs, disait José Torres, ancien champion du monde poids mi-lourd, nous comprenons les mensonges. C’est quoi, une feinte ? C’est quoi, un direct suivi d’un crochet du gauche ? Qu’est-ce qu’une ouverture ? Et le fait de penser une chose et d’en faire une autre… ? » La boxe devient un art du faux-semblant où peut se cacher cependant un désir monstrueux d’anéantissement : « Je ne veux pas mettre mon adversaire K.O., déclarait Joe Frazier. Je veux le frapper, reculer d’un pas et le voir souffrir. Je veux son cœur. »
Le spectacle dégoûte
Pour toutes ces raisons mêlées et contradictoires, il arrive que le spectacle dégoûte. On a« l’impression non seulement que quelque chose de très laid est en train de se produire, mais qu’en plus, en regardant cela, on en devient complice ». La boxe, en fait, n'a rien d'aimable, mais elle s'impose à nous. Tel est le profond paradoxe que J. C. Oates parvient à tirer au clair dans ce classique de la non-fiction américaine. Sans jamais mettre en avant son identité féminine, elle cerne la part d'ombre autant que de lumière de ce sport d'hommes où le face à face brut de deux individus sur le ring, renvoyés à leur seule présence physique, semble être à lui seul une incarnation de l'Amérique.
"cette fureur nue que les hommes ordinaires, qui n’ont pas de raison personnelle ou sociale de ressentir de la colère, condamnent et ne veulent pas voir".
RépondreSupprimerIl y a du vrai là-dedans, la majorité des boxeurs que j'ai connus avaient une colère quelque part.
je vais me procurer ce bouquin.