On imagine facilement Adonis Stevenson tapant du pied d'impatience ces jours-ci. La préparation physique et mentale de ce maniaque de l'entraînement, en vue de son combat contre Tavoris Cloud dans une dizaine de jours, est quasi complétée. On lui demanderait d'affronter Cloud dès ce soir qu'il passerait la journée à tourner comme un enragé autour du Centre Bell.
Stevenson vit sur un nuage depuis qu'il a enregistré un K.-O. record de 76 secondes pour un titre mondial contre un rival nettement plus expérimenté, Chad Dawson, qui a commis l'erreur de lever le nez sur sa force de frappe.
Mais comment l'en blâmer? Jusque-là, Stevenson n'était pas très connu sur la planète boxe. Il n'était même pas pris au sérieux dans sa propre cour. On se moquait de ses ambitions quand il mentionnait son désir d'affronter Lucian Bute. Plus évident encore, il n'y avait que 6 000 spectateurs, pas tous payants, dans le Centre Bell, quand il est devenu champion mondial des mi-lourds du WBC.
Ce soir-là, en marchant vers le ring, il avait été applaudi poliment. Toutefois, dès que Dawson a été brutalement couché par cet aspirant sans nom, on dirait que le déclic s'est fait entre le public, le monde de la boxe et lui.
Stevenson n'était champion que depuis quelques minutes quand le vice-président du réseau HBO, Mike Taffet, a glissé à l'oreille d'Yvon Michel entre les câbles : «Tu viens de toucher le gros lot et nous aussi ». Comme si c'était acquis aux yeux des gens de HBO que le dur cogneur accepterait de joindre leurs rangs.
Michel n'avait encore aucune entente avec HBO. Il ne jouissait même pas d'un premier droit de refus. En somme, les gens de HBO souhaitaient que Stevenson gagne, mais ils n'y croyaient pas vraiment.
Quelques heures plus tard, en pleine nuit, ils ont convié Michel à une rencontre dans un resto de la ville. Leur planification concernant Stevenson était déjà sur la table. Michel n'avait jamais vécu une situation comme celle-là. Durant un quart de siècle, ses boxeurs avaient été impliqués dans plusieurs combats de championnat du monde, mais c'était la première fois qu'on lui courait après. Avant la victoire de Stevenson, il avait toujours été en demande auprès des promoteurs étrangers. Il n'avait jamais eu le gros bout du bâton dans ses négociations.
C'était peut-être vrai qu'il avait gagné le gros lot. Du moins, pour deux ou trois ans puisque le nouveau porte-étendard de la compagnie, qui pourrait permettre au groupe GYM de brasser de très bonnes affaires, a (malheureusement) déjà 35 ans.
Le flirt de HBO ne s'est pas arrêté là. Quelques jours plus tard, on a invité le promoteur montréalais à visiter les bureaux de l'entreprise à New York. On lui a présenté le président Ken Hershman qui lui a posé une question totalement inattendue : « Qu'est-ce que vous voulez », a-t-il demandé.
Ce changement de situation tenait presque du miracle. Stevenson, qui était encore dans un état euphorique, ignorait qu'il s'apprêtait à devenir une importante carte d'affaires pour HBO.
« Compte tenu de son âge, je leur ai expliqué que Stevenson voulait se battre deux fois dès cet automne, rappelle Michel. On m'a répondu que ça ne posait aucun problème. Ils m'ont tout de suite fourni une liste de cinq candidats. »
Le jour même, le grand rival de HBO, le réseau Showtime, avait proposé à Michel un combat obligatoire contre Tony Bellew avec la possibilité pour Stevenson de se mesurer ensuite à Bernard Hopkins. Il aurait bien aimé affronter Hopkins pour lequel il a de l'admiration. Il a déjà dit que s'il avait à subir la défaite, c'est contre lui qu'il accepterait que ça se fasse. Il croit que Hopkins et lui sont des boxeurs similaires. Ils ont la même mentalité. Ils ne fument pas, ne boivent pas et les deux sont constamment dans le gymnase. Mais pour le reste, Stevenson préférait s'associer à HBO.
Il était déjà à New York pour assister à une soirée de boxe quand on l'a invité à visiter les bureaux de HBO à son tour. Même si aucune entente n'avait encore été conclue, sa photo était déjà accrochée au mur dans le hall menant au bureau du président. On lui a présenté les employés de la maison. On lui a aussi fait une invitation très spéciale.
Douze boxeurs primés de HBO allaient participer durant une semaine à une session de photos et vidéo en Californie et on tenait à ce qu'il soit du nombre.
« Je n'avais jamais été courtisé de cette façon, même pas pour Jean Pascal, affirme Michel. Je ne veux rien enlever à Jean, peut-être était-ce dû à un concours de circonstances. Grâce à une performance éclatante, Adonis arrive au bon moment dans la bonne division. Quand Jean a réussi la meilleure performance de sa carrière (sa victoire contre Chad Dawson), il y avait déjà plusieurs dates de réservées pour des combats impliquant des petits promoteurs comme nous. La guerre que se livrent HBO et Showtime favorise actuellement les promoteurs secondaires. »
Montréal de plus en plus sur la carte
Yvon Michel, qui s'est souvent retrouvé dans l'obligation de se satisfaire de combats à l'étranger pour ses boxeurs, se retrouve dans une position de force grâce à son plus récent champion. Il reconnaît que HBO, qui réalise aujourd'hui tout le potentiel que représente le marché de Montréal, est déterminé à se l'approprier avant que Showtime lui coupe l'herbe sous le pied. HBO sera là le 28 septembre pour le combat Stevenson-Cloud et en novembre pour l'affrontement déjà conclu entre Stevenson et Tony Bellew. Si tout se passe bien à ces deux occasions, le réseau reviendra pour la bataille tant attendue entre Bute et Pascal.
« HBO a décidé d'investir dans les mi-lourds. Il a déjà des projets pour le gagnant de ce combat. C'est comme si HBO venait de prendre le contrôle de notre marché », affirme Michel.
La puissante gauche qui a terrassé Dawson est peut-être en train de tirer GYM d'un gouffre financier. GYM a connu sa large part d'ennuis ces dernières années. La compagnie avait perdu tous ses champions du monde. Or, sans un grand vendeur à l'échelle internationale, un petit promoteur peut difficilement survivre. Seul un champion du monde pouvait donc aider à replacer le train de GYM sur les rails.
« Tout est si fragile dans notre milieu, admet le promoteur. On a vraiment besoin d'un champion. Or, entre la défaite de Jean Pascal et la victoire d'Adonis Stevenson, nous avons traversé une période de deux ans sans champion. Quand Jean a été détrôné, on a cru que David Lemieux représentait la relève immédiate. On s'est rendu compte qu'il avait encore besoin de quelques années avant de jouer un tel rôle. Comme Adonis n'était pas là, nous avons plutôt traversé une phase d'investissement et de développement. »
Le défi de Jean Bédard
La boxe professionnelle à grande échelle s'intéresse aujourd'hui à un boxeur de 35 ans qui a fait des débuts modestes à 29 ans et qui a livré très peu de rounds depuis. C'est tout à fait inhabituel. Au Québec, Stevenson a vu sa cote de popularité grimper en flèche. Il serait étonnant que son prochain combat soit livré devant une foule décevante. Surtout que Pascal effectuera un retour le même soir contre l'Américain George Blades.
Tout un revirement quand on y pense. Même le promoteur rival, Jean Bédard, s'est permis de brasser la sauce en affirmant que Bute serait prêt à affronter Stevenson.
Beau joueur, Yvon Michel a accepté ce commentaire avec diplomatie. Selon lui, Bédard voulait envoyer le message que Bute et son équipe ont repris confiance et qu'ils sont ainsi prêts à se mesurer à n'importe qui.
« Il savait que Stevenson était occupé, mais en mentionnant son nom, il voulait dire que Bute était prêt à affronter n'importe quel adversaire, souligne-t-il. C'est comme ça que je l'ai interprété. J'ai aussi compris que c'était une marque de respect envers Adonis. »
Dans les faits, il faut peut-être y voir un pied de nez subtil de Bédard à l'endroit de Pascal qui se plaît à ridiculiser Bute sur la place publique et dans les réseaux sociaux.
Dans le passé, cette suggestion d'InterBox sortie de nulle part pour un combat Bute-Stevenson aurait contribué à jeter de l'huile sur de vieilles chicanes enflammées entre les deux groupes, mais comme GYM est actuellement en possession d'un pur-sang et qu'on ne sait trop ce qu'il adviendra de la carrière de Bute, Michel a préféré prendre la chose avec un grain de sel.
Il en a changé des choses en peu de temps, Adonis Stevenson.
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